Rubén Velázquez
Parrain de Mille chœurs pour un regard 2023 avec la chanson Ultreia et Suseia (Va plus loin, va plus haut)
Extrait du double album Hispanias Miticas, l’Europe des chemins de Saint Jacques de Compostelle
Chanson en écoute
Grand interprète d’œuvres lyriques, le ténor toulousain Rubén Velázquez nous fait à nouveau l’honneur de nous parrainer pour cette édition de Mille chœurs pour un regard 2023
Ruben VELAZQUEZ, ténor international né à Toulouse, la ville rose dans le quartier Saint-Cyprien.
Dans ce quartier populaire peuplé d’exilés espagnols, de gitans, de familles pauvres qui vivent sans eau courante ni électricité dans des pièces souvent borgnes dont le sol n’est fait que de terre battue. « Je suis un enfant de Saint-Cyprien. Après la rue Réclusane, nous sommes allés vivre rue de Cugnaux, où j’ai passé l’essentiel de ma jeunesse, comme mon frère. Tous les jours ma mère partait travailler. Elle vendait notamment des beignets, des bonbons. D’abord de façon ambulante, avant d’ouvrir un stand aux halles de Saint-Cyprien. Quand j’étais petit, vers 4 ou 5 ans, je ne supportais pas que ma mère me laisse seul. Quand je n’étais pas à l’école, je l’accompagnais souvent au cours de ses tournées, dans les music-halls, les cafés, aux arènes du Soleil d’Or, tous les endroits où il y avait des animations» raconte Rubén Velázquez.
De bals en cabarets
Cantatrices, catcheurs, mimes, toreros, le tout jeune Rubén grandit dans un univers où se mêlent artistes et gens du spectacle. « Quand j’ai huit ou neuf ans, j’ai pris l’habitude d’aller tous les dimanches chez une sœur de ma mère qui avait la télévision. Nous regardions un programme de concerts classiques qui passait à 17 heures. Je pense que cela a été un éveil musical très important » poursuit-il. Les années passent. Rubén Velázquez fait la découverte des bals populaires. Aux halles de Saint-Cyprien, il donne parfois un coup de main aux membres d’un petit orchestre tenu par un caviste du marché. Le groupe se produit dans des messes, des apéros-concerts. Il faut transporter le matériel, le sortir, le ranger. Un beau jour, l’adolescent se voit proposer de monter sur scène pour pousser la chansonnette. Il accepte, se révèle doué, reproduit l’expérience dès que l’occasion se présente, écume les bals. La passion s’empare de lui. Le travail et la persévérance feront le reste.
Au début des années 70, il s’inscrit au Conservatoire. Un soir, une femme frappe à la porte de la maison familiale. C’est Caroline, sa tante paternelle, chanteuse émérite au Liban, qui a fui le pays du cèdre où s’abat la guerre civile. Durant tout le temps qu’elle passe à Toulouse, elle donne à son neveu des cours de chant, lui inculque le répertoire classique mais aussi celui du cabaret. En l’espace de quelques années, Rubén Velázquez se perfectionne au point de pouvoir se présenter à divers concours internationaux et de s’y distinguer. Vienne, Pampelune, Madrid, puis la consécration à La Scala de Milan, à Barcelone et à Venise, auprès de Jaime Francisco Puig et Aldo Danielli. A Trieste, il débute dans Mozart et Salieri, l’opéra de Rimski Korsakov, avant d’enchaîner les premiers rôles dans les œuvres de Beethoven, Verdi, Bizet, Offenbach…
photo © Pierre Beteille / Culture 31
L’Espagne, tableau tragique…
D’une telle carrière, accomplie pendant près de trente ans sur les plus grandes scènes du monde, ponctuée également d’œuvres personnelles telle Yedra, Hispanias miticas ou encore La Nuit obscure avec Vicente Pradal et Serge Guirao, Rubén Velázquez évoque des épisodes qu’il relate sans aucune vanité. « Quand on sait d’où je viens, quand on y pense… » confie-t-il soudain au gré de la conversation, avec le regard voilé de ceux qui n’oublient pas leurs racines, ni les sacrifices consentis par leurs aïeux. Car l’histoire de cet « enfant de Saint-Cyprien », celle de sa famille, convoque peu ou prou tous les éléments du tableau tragique de l’Espagne du siècle écoulé.
La faim, l’exil, les conflits armées, la famille déchirée, la diaspora, les ruptures, les adieux, les tabous, les aveux : il y a sans aucun doute dans l’histoire de Rubén Velázquez tout ce qu’une trajectoire individuelle peut révéler d’un destin collectif. Celui de l’Espagne contemporaine, ses racines meurtries, sa dictature, mais aussi sa transition démocratique symbolisée par la « movida » des années 70 et 80, que d’aucuns disent inachevée… « L’Espagne est une douleur énorme, profonde, diffuse » écrivait José Ortega y Gasset. Rubén Velázquez, dans l’évocation discrète de sa mémoire et de ses souvenirs ensevelis, pourrait entièrement faire sienne cette si belle phrase du philosophe madrilène…
Extraits de Nicolas Coulaud
En écoute : création mondiale de la Messe Solennelle d’Hector Berlioz
France 3, Radio France Musique et Universal Music